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L'archer poète
8 septembre 2006

"Hier, j'ai mangé une pomme"

Encore une ébauche.

  « Hier, j’ai mangé une pomme ». On prononce cette phrase avec une désopilante indifférence, de nos jours. Non, non, je dis que tout cela n’est pas sérieux. On se moque. Je m’indigne de cette phrase. En réalité, quoi de plus grave que de l’énoncer à voix haute !

  Je ferai, d’abord, le reproche d’être paresseux ou inculte : manquez-vous donc tant de culture que vous ne sachiez pas la variété de la pomme ? Ou n’avez-vous aucun respect pour les Golden, les Granit Smith et autres Reines des Rénettes ? N’avez-vous donc ni cœur ni oreille pour ne pas entendre les gémissements de la pomme mise au supplice ?

  On ne peut pas parler de la pomme comme on parlerait d’un caillou, parce que la première se mange, tandis que l’autre, on n’en fait rien. D’abord, il faut sélectionner, avec attention, ce noble fruit rond et charnu d’un amer délice sucré, enviable de par sa couleur rubis, émeraude ou encore topaze impériale. Après avoir choisi cet objet de désirs plutôt qu’un autre, il faut décider de la manière dont on va le savourer. Faut-il faire le sauvage et la croquer brutalement sans préliminaires ? Ou, au contraire, faut-il les faire durer, tel un doux amant, faut-il la déshabiller doucement, lentement, délicatement avec un épluche-légume ? ou vaut-il mieux utiliser un couteau ? Quoi qu’il en soit, à un moment que l’on se fixe, il faut songer à ouvrir la bouche, à sortir les crocs et, tel un vampire assoiffé de sang, les plonger dans la douce peau légèrement jaune de son innocente victime. Et enfin, tel un prédateur sauvage, tel un nécrophage pervers, il faut la dévorer sans pitié, et se faire sourd à ses cris pitoyables de détresses, car il nous faut obéir à nos instincts de prédateur cruel.

  Manger une pomme, je vous le dis, c’est un crime. Alors, comment peut-on dire, comme si c’était une banalité : « Hier, j’ai mangé une pomme » ? Qui peut dire à ses amis, avec un air dégagé, comme pour préparer l’effet de chute d’une bonne plaisanterie :  « Hier, j’ai tué un homme » ?

  La pomme peut sembler inerte pour le novice, mais, pour un homme avisé, c’est un être d’une grande timidité.

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