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L'archer poète
14 mai 2007

Lou

C'est une histoire horrible que je ne finirai sans doute pas.

Je n’avais même pas encore 18 ans lorsque je suis tombée enceinte. Là, vous devez vous dire que c’est terrible. Ca l’est. Et là, vous devez vous demander qui je suis. Lou. C’est mon prénom. Mon nom de famille n’a pas d’importance, je pense, pour vous. Mon prénom monosyllabique est facile à retenir. Lou. Qui est la petite Lou et dans quelles circonstances est-elle tomber enceinte à 17 ans ? Phonétiquement, mon histoire est très drôle : Lou a vu le loup. Ca peut faire rire. Mais si j’écris : alors qu’elle avait 17 ans, elle a vu le loup et en a eu un enfant, mais sans avoir de quoi l’élever ou de famille pour lui venir en aide ; cela vous fait-il encore rire ? Moi, ça me fait rire. Ma stupidité et ma naïveté de l’époque me font rire ; un peu jaune, c’est vrai aussi. Qui est Lou à 17 ans ? Une jeune fille, mal dans sa peau, déjà dégoûtée par la vie, toujours habillée en noir, triste comme une tombe, quoique que les tombes, elles, sont jolies. Peut-être était-ce ce dégoût vital qui m’avait entraîné vers une fascination pour la mort. Vous me qualifieriez de « gothique » ; mais avant, je vous mets au défi de définir ce mot. Je précise tout de suite que je ne suis pas sataniste, ça évitera des confusions inutiles. Lou à 17 ans n’aime pas grand chose : elle n’aime pas les gens, surtout les garçons, grands et bêtes, elle n’aime pas les cours, elle n’aime pas sa vie lycéenne ; mais elle éprouve quand même de l’affection pour Dimitri, Yann et Lucie, ses meilleurs amis, parce qu’ils me ressemblent : nous avons les mêmes goûts musicaux, littéraire et filmiques ; mais, de toutes façons, nous parlons peu, nous n’en avons pas besoin. Après le bac, Lucie voulait se lancer pleinement dans la musique, malgré l’avis de ses parents ; Yann préparerai HEC ; Dimitri, lui, comme moi, est indécis. Voilà. Rien de bien d’extraordinaire. Aucun d’entre nous n’avait de petit ami. Nous étions un groupe de solitaires. Lou, à 17 ans, est donc une marginale. Que dire de plus, sinon que je m’entends mal avec ma mère, divorcée de mon père quand j’avais six, et que je suis une fille unique ? La vie suivait son cours sans se soucier de moi. Indirectement, ce qui m’as mis enceinte, c’est une fête stupide. Alan Timber, l’être sans doute le plus idiot de tout mon lycée, avait proposé de fêter chez lui, dans la villa de ses parents, la fin des épreuves du bac. Tous les terminales du lycée ou presque y étaient convoqués. Ce sale arrogant nous avait même invité ostensiblement devant tout le monde, croyant que des asociaux comme nous refuseraient d’y participer. Après une discussion, notre petit groupe avait décidé de s’y rendre quand même. La soirée, selon Alan, promettait d’être chaude et détendue ; nous y jetterions donc un froid par notre venue inattendue. Malheureusement, notre arrivée n’eut pas l’effet voulu. Cet abruti d’Alan, déjà à moitié soul, nous jeta un « Alors comme ça, vous êtes venus ? » avant de retourner peloter sa poulette, un verre à la main. Les soirées de ces jeunes adultes sont particulières en ce qu’on y danse mal, boit beaucoup et cherche à draguer plus ou moins n’importe qui. La première option étant communément et tacitement exclue par notre groupe, nous décidâmes de boire comme les autres – voire plus. Nous parlâmes de nos études futures. Dimitri et moi avions finalement décidé d’aller à la fac. Nous évoquâmes également nos vies de ratés. C’était probablement une des dernières fois que nous nous voyions. Je trouvais cela triste, et aussi dans les circonstances dans lesquelles cela se passait. L’amour vint sur le tapis, avec, au XXIème siècle, son grand ami, le sexe. Dans certaines communautés, être encore vierge à 17 ans est déjà une honte. De toute façon, nous étions des rebuts : cela ne nous dérangeait aucunement. Peut-être est-ce vers 3 heures du matin que j’ai commencé à m’apercevoir que Dimitri s’approchait de moi. Il me touchait le bras ou l’épaule, essayait de me faire rire – sans peine, vu mon état pitoyable. Au bout d’un moment, il m’a fait des compliments banals que toute fille sobre ignore mais auxquels toute fille ivre comme je l’étais bois avec délice tout en les laissant pourtant passer à travers une passoire. Il flattait ma beauté et mon intellect prétendus. Inévitablement, vers 3 heures et demi, il s’est penché vers moi pour m’embrasser, tombant sur mon visage comme un corbeau vers une charogne. Qu’a fait la petite Lou ? Elle l’a nourri, après quelques secondes d’étonnement, de stupéfaction, d’incrédulité. Je le croyais mon ami ; il me croyait son amante. Mais je ne réfléchissais plus beaucoup. Le désirais-je lui vraiment ? Ou désirais-je juste qu’un homme m’aimât ? Deux désirs compatibles s’étaient trouvés. Voilà tout. Seul l’instant comptait. Lucie et Yann, eux, tout aussi souls, ne se gênaient pas pour se moquer de nous. Vers 4 heures, ils se retirèrent, prétextant une fatigue, nous laissant ainsi presque seuls chez Alan. Ce dernier, qui n’avait cessé d’emballer sa copine entre un verre et une danse, s’aperçut, pour la seconde fois de la soirée, de notre présence. Dimitri et moi nous embrassions désespérément. « Si vous voulez, il y a des chambres en haut, si vous voulez dormir ici. (Pour nous proposer cela, à nous, il ne devait vraiment plus être net) Pensez à fermer à clef si vous ne voulez pas être dérangés. » Il y avait encore une petite quinzaine de poivrots. Dimitri et moi nous consultâmes du regard. J’eu la stupidité de monter. Que croyais-je alors ? Que nous dormirions chacun de notre côté ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. L’alcool est la boisson de l’Oubli. Lorsque nous montâmes les escaliers, j’avais déjà oublié ce que les garçons et les filles sont censés faire ensemble pour veiller à la pérennité de la race humaine ou pour se faire charnellement plaisir. Nous sommes entrés dans la chambre. Dimitri a refermé derrière moi. « Je dors sur le lit », ai-je dit en m’effondrant dessus, les paupières lourdes. Il m’a demandé pourquoi nous ne dormirions pas ensemble. Sur le coup, je n’ai même pas réussi à répondre. La suite est assez confuse. Il s’est rapproché de moi en enlevant son T-shirt. Je ne sais pas si j’ai bien saisi. Je crois que j’étais stupéfiée et fascinée parce que, pour la première fois de ma vie, un homme s’intéressait à moi. Certaines niaises pensent que la première fois se passe bien. Cela peut arriver. La mienne fut horrible. Je crois qu’il m’a violée. J’ai refusé ses avances, mais il ne m’a pas écoutée. Il me disait que cela irait bien. Le reste est beaucoup trop sordide pour être raconté en détails. Il m’a frappée pour que je ne bouge plus puis a assouvi son répugnant désir de mâle. La fin de cette histoire est particulièrement horrible, puisqu’il m’a obligée à dormir dans la même chambre. Comme je sanglotais par terre, complètement brisée, il s’est penché vers moi pour me demander ce qui n’allait pas. Ce qui ne vas pas ! Ce qui ne va pas ! Il croyait que j’en avais eu envie ! Je fis le plus grand effort jamais fait de toute ma vie pour me contrôler. J’attendis qu’il s’endormît. J’étais trop lâche pour penser à me venger. Je pris la fuite. Je quittai cette maison maudite, hantée désormais par le fantôme de ma jeunesse et de mon innocence. J’appelai Lucie à l’aide. Par miracle, elle répondit, la voix encore pâteuse. Je ne lui expliquai pas pourquoi, je lui demandai de venir me chercher chez Alan en passant par la grande route. Cependant, je ne pouvais pas rester immobile. J’ai marché le long de la route. J’avais mal partout : aux poignets, au visage, aux jambes, en moi. Je me sentais sale. Je pleurais. Au bout de quelque cent mètres, je me suis effondrée, brisée, en larmes. Quelque chose, en moi, était mort. Je ne le reverrai plus jamais. Après une demi-heure de lamentation, de souffrance, d’agonie et de deuil, Lucie m’aperçut. Je montai. Ce qui est dur, ce n’est pas seulement quand on vous vole une partie de vous, c’est aussi raconter et subir les conséquences. Car la victime subit plus qu’elle ne dénonce. Lucie n’en crût pas ses oreilles. Un jour plus tôt, je n’y aurais pas cru non plus. Dimitri, notre Dimitri m’avait fait cela. Lucie fit tout ce qu’une amie aurait pu faire : elle resta auprès de moi jusqu’au retour de mes parents, essaya de me convaincre d’avertir la police. Elle chassa Dimitri de chez moi en le menaçant de couteaux lorsqu’il vint s’expliquer. Elle réussit même à casser son pare-brise arrière. En quelques jours, je surmontai cette épreuve aussi bien qu’une femme peut le faire. Mais je n’en restai pas moins brisée. Brisée. Ce mot revient souvent. J’avais en effet l’impression d’être un vase que l’on aurait jeté avec fureur par terre et dont on aurait sadiquement piétiné les petits morceaux. Lucie et moi tentions désespérément de les retrouver. Mais il y en a qui sont perdus à jamais. Mon récit pourrait se terminer là, en expliquant qu’une femme violée perd une part d’elle-même. Mais j’ai écrit plus haut que je suis enceinte. A 17 ans. Être enceinte… Lorsque mes parents rentrèrent, je leur dissimulai ce qui m’étais arrivé. Ils me demandèrent si la soirée s’était bien déroulée. Je me crispai. Ils prirent mon mutisme pour une rébellion adolescente. Ils ne devinèrent rien. Une femme est capable de déployer de réels trésors d’ingéniosité lorsqu’elle est violentée ; je me découvris cette capacité. Plusieurs jours passèrent sans que je me rendis compte de rien. Je me reconstruisais. Je ne sortais plus. Je ne voyais plus que Lucie et Yann, lui aussi mis au courant. Tous deux se brouillèrent avec Dimitri. Ce dernier essaya, pendant une semaine, de me joindre par tous les moyens. Il échoua, mais ma mère se douta de quelque chose, lorsque je lui dis que je ne voulais plus le voir, que nous nous étions fâchés. Elle pensait que c’était pour une bricole. Elle se trompait.    

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